Présentation et débat, en présence de l’auteur, avec Maria Graciete Besse (université Paris-Sorbonne/Paris IV) et Pierre Rivas (Université Paris Ouest Nanterre La Défense).
En poète du soupçon, Fernando Pessoa se joue des identités, des corps, des sexualités afin d’« être tout de toutes les manières ». Son Odyssée littéraire est trop souvent ramenée à un théâtre cérébral, à une oeuvre sans corps, à un désir refoulé. En vers ou en prose, avec le Livre de l’intranquillité, son aventure nous transporte au coeur du Désir, dans ses flux et reflux, depuis les fêlures de son moi et la multiplicité de son être. Les sensations voyageuses du poète libèrent les potentialités d’une création pleine, jusqu’à une réinvention de soi.
Pessoa a esquissé un « cycle du sentiment amoureux » qu’il ordonne poétiquement en cinq « empires », de la Grèce d’Antinoüs à la Modernité pan-érotique, et où se déploie la figure variable et évolutive d’Éros. La dernière étape, nommée « Quint-Empire », est le règne d’Antéros. Ce personnage divinisé incarne, dans un futur rêvé, un Outre-Amour néopaïen –
un Amour à la fois autre et projeté au-delà de la sexualité et des divisions en genres. Cet ouvrage inaugure une lecture approfondie de ce Cycle, en souligne la richesse poétique et la portée intellectuelle au regard d’autres écrits majeurs, et établit qu’Antéros est le nom personnifié d’un singulier et universel Quint-Empire de l’Amour à bâtir.
Anibal Frias innove en faisant dialoguer Pessoa avec Proust, Merleau-Ponty, Rimbaud, Foucault, Freud ou Nietzsche. Son étude originale apporte une contribution décisive, et critique, au tout nouveau paradigme des études pessoennes, fondé sur la corporéité, le gender, la sexualité. Elle se veut aussi une traversée claire et vivante de l’oeuvre connue, et surtout méconnue, d’un écrivain qui s’est voulu « toute une littérature ».
Chercheur en anthropologie et en littérature, Anibal Frias est docteur en ethnologie et diplômé de philosophie, de sociologie et d’arabe. Il est affilié à plusieurs centres de recherche européens : LAS (Collège de France), IEMO (Université nouvelle de
Lisbonne), CEIS20 (Université de Coimbra), et IHU (Université de Salamanque).
EXTRAIT DE LA PRÉFACE DE ROBERT BRÉCHON
Depuis la mort de Pessoa, il y a trois quarts de siècle, il a paru des centaines de livres sur son œuvre, mais aucun, à ma connaissance, ne traite exclusivement ni systématiquement la question du rôle qu’y joue le désir sexuel. Moi-même, qui ai abondamment écrit sur lui, je n’ai jamais osé m’y aventurer, tant il y avait dans mon esprit d’incertitudes, d’ambiguïtés et de contradictions. L’ouvrage d’Anibal Frias est donc une première. J’aime toutes les premières fois, dans la culture comme dans la vie. On a l’impression de repartir à zéro, de tout reconsidérer d’un regard neuf. Pessoa lui-même aimait les premières fois.
[…] Il a, le premier, eu l’idée toute simple, et lumineuse, de comparer les deux grands mythes forgés par Pessoa, de les calquer l’un sur l’autre : le mythe du Quint-Empire, qui est au cœur de Message, et celui du « cycle du sentiment amoureux » à travers les âges, qui inspire “Antinoüs” et “Épithalame”.