Rodolphe Adam
« Kierkegaard, amoureux de sa plume »
« Amoureux de ma plume », c’est ainsi que Kierkegaard répondait à un de ses proches qui lui reprochait de ne faire qu’écrire des lettres sans jamais rendre visite. Graphomane dont la surproduction a sa cause dans la « chronique d’une mort annoncée », Kierkegaard trouvait dans l’écriture le corps à corps qui lui faisait défaut dans la rencontre. Si une fois, il témoigna dans son Journal d’une expérience de « joie indescriptible », souvent comparée au Mémorial de Pascal, nous verrons, avec Lacan, que l’acte d’écrire relevait moins d’un éprouvé ex-tatique que du nouage sinthomatique dont le produit fut la découverte de l’ex-sistence. « Ecrire a été ma vie », écrivit Kierkegaard… jusqu’à ce que Régine s’en aille.
Docteur en psychopathologie, Paris VII, psychanalyste à Bordeaux.
Jacques Aubert
« D’une ou deux Femmes singulières »
Professeur émérite à l’Université de Lyon et éditeur de Joyce dans la Pléiade, Jacques Aubert a écrit de nombreux ouvrages et articles sur Joyce et Virginia Woolf.
Nancy Berthier
« Figures de l’extase dans le cinéma de Luis Buñuel : des usages du visage »
Depuis Un chien andalou jusqu’à Cet obscur objet du désir, Luis Buñuel a mis en scène sans relâche, pendant une cinquantaine d’années, des personnages en proie à des « états extatiques » très variés (mais fondamentalement de nature sexuelle et mystique) dans des films ancrés dans des espaces de production cinématographique extrêmement diversifiés (cinéma expérimental surréaliste, cinéma populaire mexicain, co-productions internationales, cinéma d’auteur français …). Au-delà des variations esthétiques et stylistiques de sa production cinématographique tout au long de cette période, les figures de l’extase se présentent toujours dans le cadre d’une mise en scène du visage qui fait de ce dernier le support par excellence de l’ « état extatique » dans un jeu subtil entre le visible et l’invisible : le cinéaste met en oeuvre une catégorie tout à fait particulière du hors champ (non présent à l’image mais induit par les composantes de cette dernière) qui renvoie à une réalité qui, bien que non montrée et non montrable n’en est pas moins fortement figurée. Nous nous interrogerons sur les fonctions et le sens de ces usages du visage dans la représentation buñuelienne de l’extase.
Professeur des universités à Marne-la-Vallée, spécialiste de l’image dans le monde hispanique contemporain. Auteur de Le franquisme et son image. Cinéma et propagande (PUM, 1998), De la guerre à l’écran, Ay Carmela, (PUM, 1999), Tomás Gutiérrez et la Révolution cubaine (Cerf, septième art, 2005), co-auteur de Le cinéma de Bigas Luna (PUM, 2000), a dirigé Penser le cinéma espagnol (1975-2000), Grimh, 2001. Une soixantaine d’articles publiés sur le cinéma espagnol et cubain.
Maria Graciete Besse
« Le texte fulgurant de Maria Gabriela Llansol, entre nomadisme et dépossession »
Dans la littérature portugaise contemporaine, l’œuvre de Maria Gabriela Llansol (1931) dessine une cartographie hostile à toute forme de représentation et d’orthodoxie générique. Produite sous le signe de la rupture et traversée par un certain nombre de figures mystiques (Maître Eckhart, saint Jean de la Croix, Al Hallâj), elle développe souvent des fulgurations (« cenas-fulgor ») qui traduisent la discontinuité temporelle, la jubilation du fragmentaire et l’expérience nomade de l’intranquillité, si chère à Fernando Pessoa. Par un mouvement de déterritorialisation, l’instance énonciative se déploie entre l’intime et l’extime, la fascination et la perte, pour créer une épiphanie du visible où se joue sans cesse la possibilité de l’extase.
Professeur de Portugais à l’Université de Paris IV-Sorbonne. Spécialiste de littérature portugaise, elle a fait paraître plusieurs ouvrages sur des auteurs portugais contemporains et s’intéresse particulièrement à l’écriture produite par les femmes.
Mercedes Blanco
« Les raisons de la jouissance dans les écrits de Thérèse d’Avila »
Les écrits de Thérèse d’Avila ont un retentissement auprès de nombreux lecteurs qui excède leur valeur de document auprès des historiens de la religion ou des anthropologues, leur rôle d’édification auprès des fidèles, ou même leur portée doctrinale auprès des théologiens, sanctionnée par l’élévation de l’auteur au rang -honneur rarissime parmi les femmes- de docteur de l’Eglise. Ce retentissement, ses écrits le doivent à leurs très singulières qualités « littéraires » et au témoignage qu’ils portent d’une série d’étranges expériences extrêmement riches et différenciées. Celles-ci ont pour point commun une « jouissance » dont la nature, l’objet, la légitimité constituent le problème central qui motive le fait même d’écrire. L’écriture apparaît comme une quête de solution pour ces problèmes, et donc au moins en partie comme une rationalisation. C’est ce que notre communication s’attachera à montrer : non pas tellement en quoi décrire la jouissance est une entreprise formidable, mais aussi pourquoi la dire c’est défendre, victorieusement dans le cas de Thérèse, les conditions qui la rendent possible.
Professeur de littérature espagnole classique à l’Université de Lille 3. Auteur d’un livre sur les rhétoriques du mot d’esprit au XVIIème siècle (Les rhétoriques de la pointe, Paris, Champion, 1992), d’un livre sur la poésie amoureuse de Quevedo, et d’une centaine d’articles dans des livres collectifs et revues spécialisées sur des questions de théorie poétique, de rhétorique et de littérature espagnole des XVIIème et XVIIème siècles.
Sylvie Blocher
« Living Pictures / Extase »
Installation vidéo 2004, 4 écrans : 4m x 3m, durée : 4 x 5minutes « …Le tournage est improbable et l’exercice tient de l’impossible. Pourtant cela se passe. Parfois si fortement que mon visage succombe au mimétisme. Ils se présentent devant ma caméra. Seuls, ils convoquent, derrière leurs regards flottants, des pensées pour moi inconnues. Des hommes de tous les jours, des hommes célèbres, que rien ne rattache, sinon l’acceptation de perdre tout contrôle sur eux-mêmes le temps du tournage : leurs visages en extase, entre joie et douleur, comme d’infimes traces fugitives… »
Sylvie Blocher. Tournage de Living Pictures / Extase. Sept 2004
Suite au manifeste « Déçue, la mariée se rhabilla » (1991) (Collection MAM Centre Georges Pompidou), Sylvie Blocher lance en 1993 le concept : ULA [Universal Local Art] et commence la série vidéo des Living Pictures. Elle crée en 1997, avec l’architecte urbaniste François Daune, le collectif « Campement Urbain » qui reçoit en 2002 le Prix international de la Fondation Evens : Art / Community / Collaboration. Elle participe régulièrement à des manifestations internationales comme les deux dernières Biennales de Venise 03-05.
Jean Bollack
« Les formes religieuses de l’extase poétique »
Le chamanisme a été prêté aux pythagoriciens, et, plus récemment encore, les poètes philosophes comme Parménide et Empédocle ont été élevés au rang d’initiateurs d’une migration d’outre-tombe. Il importe pourtant d’apprécier et d’approfondir la transposition d’états seconds accomplie dans la poésie. L’analyse des pratiques religieuses s’est effectuée avant toute histoire dans les œuvres littéraires. Le rite est maîtrisé et reproduit.
Professeur de littérature grecque et fondateur du Centre de recherches philologiques de l’Université de Lille III.
Pierre-Henri Castel
« La Madeleine de Janet, ou comment objectiver l’expérience de l’extase ? »
De l’angoisse à l’extase, de Pierre Janet, paru en 1926, s’efforce de décrire objectivement une extatique, Madeleine Le Bouc, dont nous connaissons désormais la véritable identité : Pauline Lair Lamotte. Sa solution dépend du système psychopathologique où il inscrivit les expériences de son sujet de la Salpêtrière : Madeleine est un cas de « délire psychasthénique » chez une obsédée scrupuleuse. La discussion de ce cas est un des lieux où Janet s’approche le plus des thèses de Freud, ce qu’il sait et qu’il fuit, mais aussi de Melanie Klein, ce qu’il ignore, touchant l’inconscient le plus archaïque et ses expressions symboliques. Des auteurs lacaniens ont voulu aussi exploiter ce cas pour marquer la différence entre le délire, qui est psychotique, et le delirium, qui est une potentialité de certaines névroses. Je me propose de revenir sur ces interprétations, qui se nourrissent du volume d’écrits mystiques très considérable qu’a laissé Madeleine à Janet, en interrogeant le problème que pose la manifestation d’une « folle jouissance » chez un sujet – comme si, dans toute théorie du sujet ou de la psychè, ce devait être un problème, ou une limite extrême, ou une anomalie, ou une transgression. En somme, ce serait ici plutôt l’extase qui interrogerait la fonction supposée de la raison dans la pensée. Comment se peut-il qu’elle mette en cause sa fonction de limitation et de délimitation, sans toutefois l’abolir ?
Psychanalyste, philosophe, chercheur au CNRS
Frédéric Cousinié
« L’écriture de l’extase, en effets. Quelques dispositifs de mise en œuvre de l’extase dans la peinture du XVIIème siècle. »
L’écriture de l’extase, comprise ici essentiellement dans sa dimension religieuse, s’incarne dans trois champs « textuels » privilégiés à l’époque moderne (XVIe-XVIIIe siècles) : l’écrit testimonial du mystique, la théorisation du théologien qui tente de distinguer, clarifier et rationaliser un vocabulaire et des catégories toujours suspectes aux yeux de l’orthodoxie chrétienne, mais aussi l’image qui tente de représenter une expérience parfois spectaculaire mais bien souvent aussi « secrète », ou discrète, car avant tout intérieure. Ces différentes expressions de l’extase ne se contentent pas de témoigner, de théoriser ou de visualiser une expérience extatique déjà advenue. Par leurs propres dispositifs narratifs, stylistiques et poétiques, elles peuvent prétendre susciter, auprès du lecteur ou du spectateur, une expérience équivalente à celle dont elles témoignent. La communication proposée portera sur l’analyse d’un tableau de Charles Le Brun, La Pentecôte (Musée du Louvre), dont un précieux témoignage, livré par le biographe de l’artiste, évoque l’effet, d’ordre surnaturel, qu’il occasionna sur le commanditaire de l’œuvre : Jean-Jacques Olier, fondateur du Séminaire de Saint-Sulpice. L’extase (mystique) est, faut-il croire, le résultat d’un événement d’ordre surnaturel, elle serait aussi, supposons-nous, le résultat d’une construction formelle productrice de ce type « d’effets ».
Historien de l’art. Conseiller scientifique à l’Institut national d’histoire de l’art, maître de conférences à l’Université de Provence. Auteur de : Le Peintre chrétien. Théories de la peinture religieuse dans la France du XVIIème siècle, Paris, Harmattan, 2000 ; Beautés fuyantes et passagères. La représentation et ses « objets-limites » au XVIIème-XVIIIème siècles, Paris, G. Monfort, 2005 ; Le Saint des Saints. Maîtres-autels et retables parisiens du XVIIème siècle, Aix-en-Provence, PUP, 2006. Il prépare une étude intitulée Image, Méditation et contemplation au XVIIème siècle à paraître en 2007.
Marie Darrieussecq
« Extase de l’écriture »
« Préférences, goûts, zigzags : Woolf, Faulkner… Guibert, Ernaux, Modiano… et pourquoi pas Montaigne, et Rimbaud, et aussi Kafka… et pourquoi pas toute la littérature, pour dire l’extase dans la jouissance du fait d’écrire. On lira, dans l’ordre qui viendra. »
Écrivain, ancienne élève de l’ENS. Vit à Paris. Thèse : Moments critiques dans l’autobiographie contemporaine, 1997. Fictions : Truismes, Naissance des fantômes, Le mal de mer, Bref séjour chez les vivants, Le Bébé, White, Le Pays, Zoo… aux éditions POL.
Thomas Eder
« Le ’Cantique des créatures’ (François d’Assise). Relecture et réécriture par Reinhard Priessnitz dans son poème ’herbst’ (’automne’) »
Le « Cantique des créatures » de François d’Assise (Assise, 1181-1226) est considéré comme le début de la poésie italienne, mais il a aussi influencé Dante, Pétrarque et la poésie rhapsodique de la nature. François a écrit le cantique pendant une période d’extase causée par une stigmatisation excessive et un ascétisme entretenu depuis longtemps. Le « Cantique » est l’expression d’une joie de vivre et d’une identification avec la création. Dans les années 1970, le poète autrichien Reinhard Priessnitz (Vienne, 1945-1985) a réécrit le « Cantique » avec le titre « herbst » (« automne »). Priessnitz transfère dans les choses matérielles mêmes l’humilité et la glorification de l’inconcevable, que célèbre François dans le concret. J’essaierai d’examiner les conditions différentes de l’extase dans ces deux poèmes et pour ces deux poètes que séparent plusieurs siècles et d’énormes différences esthétiques.
Thomas Eder (PhD), né 1968 à Linz, Post-Doc-Fellow à l’Institut des études Germaniques à l’université de Vienne. Publications : « ’Unterschiedenes ist / gut’. Reihard Priessnitz und die Repoetisierung der Avantgarde, München : Wilhelm Fink 2003, « Zur Metapher » (ed. Avec Franz Josef Czernin), München : Wilhelm Fink 2006.
Daisuke Fukuda
« L’expérience sadienne : un ratage de l’expérience mystique perverse ? »
Angelus Silesius écrit : « L’œil par où je vois Dieu est le même par où il me voit. » Les deux êtres s’emboîtent réciproquement en un seul organe pur et fantasmatique. L’écriture de Silesius structure son expérience mystique. Étant matérialiste athée, Sade ne peut accepter l’expérience mystique. Néanmoins son fantasme, ignoré de lui-même bien qu’il soit lisible à travers son écriture charnelle de la perversion, ne pourrait-il s’écrire sous la forme suivante : « Le corps par où le scélérat touche à l’expérience de la victime est le même corps par où la victime touche à l’expérience du scélérat ? » Toujours est-il que la victime n’est qu’un simulacre de Dieu et que l’expérience de perversion n’est qu’une simulation de l’expérience extatique.
Doctorant en psychanalyse à l’université Paris VIII.
Frédéric Girard
« Stances en chinois et dénouements de crises, dans les écoles Zen au Japon »
Les moines japonais, en particulier des écoles Zen, ont composé de nombreuses stances en chinois en dépit des interdictions du Code disciplinaire à ce sujet. Une occasion privilégiée en était le moment où un disciple se voyait reconnaître la validité de son expérience de « l’éveil » par un maître, après une période de « doute », parfois au terme de dialogues aporétiques (kôan). Bien que ces échanges aient pu revêtir un caractère obligé, pour des raisons sociologiques, ils correspondaient, dans le cas de cheminements authentiques, à la résolution de crises psychologiques dont nous nous proposons d’examiner quelques cas.
Directeur d’études à l’Ecole Française d’Extrême-Orient.
Paul-Henri Giraud
« Octavio Paz et le tantrisme. Le texte-corps-image comme tremplin vers l’extase »
L’ek-stase, selon Paz, ne se situe pas dans l’écriture ou la lecture, dans la contemplation des images ou dans l’acte charnel : elle est un au-delà des mots, des images et des corps, lesquels se trouvent abolis dans le silence, dans l’illumination, dans la « Vacuité » du « non-corps ». Cette communication s’appuiera sur les essais et les poèmes écrits par Octavio Paz entre 1962 et 1973, à une époque où la philosophie et l’art tantriques constituent l’une de ses principales sources d’inspiration.
Maître de conférences, Université Paris-Sorbonne (Paris IV), UFR d’Études Ibériques et Latino-Américaines, auteur de Octavio Paz, Vers la transparence, Paris, PUF, 2002
Luc de Heusch
« La transe : la possession, le chamanisme, l’extase mystique comme continuum »
Je développerai les thèses contenues dans mon ouvrage, paru aux éditions Complexe, Bruxelles, 2006 : La transe et ses entours. La sorcellerie, l’amour fou, saint Jean de la Croix, etc.
Anthropologue, professeur émérite à l’Université libre de Bruxelles, membre du mouvement Cobra.
Franz Kaltenbeck
« L’écriture de l’indicible »
Dans son essai Proust déjà, Samuel Beckett est saisi par des œuvres témoignant d’une jouissance qui suspend la volonté. Aussi compare-t-il le collapsus de la volonté, tant chez Keats, auteur de l’ « Ode à un rossignol » que de Giorgione, peintre de « La tempête », à la stase contemplative de Proust dans À l’ombre des jeunes filles en fleurs. Cette stase est un « pur acte de compréhension dépourvu de volonté ». Beckett lui-même entretenait un rapport contemplatif avec certaines peintures, comme le Saint Sébastien d’Antonello de Messina, l’Entremetteuse de Vermeer, dont la grâce lui paraît « impossible à décrire » ou La décapitation de Saint Jean Baptiste. Son affinité avec ses tableaux ne relève pas de l’amateurisme. Il y admire plutôt ce qui échappe au langage et qui, pourtant, s’y montre et l’encourage à faire de son écriture un lieu de la rencontre avec le réel.
Psychanalyste à Paris et à Lille, directeur de « Savoirs et clinique. Revue de psychanalyse », auteur de Reinhard Priessnitz. Der stille Rebell, Droschl, Wien 2006.
Sadi Lakhdari
« Hypnose, hystérie, extase. De Charcot à Freud »
Les phénomènes d’états modifiés de la conscience connus depuis longtemps ont été différemment élaborés et théorisés au 19e siècle où le point de vue religieux est abandonné par la science médicale. L’extase est rattachée comme le mysticisme à l’hystérie, liée étroitement à l’hypnose dont on avait depuis longtemps souligné les aspects sexuels. Comment se fait le passage entre Charcot et Freud qui suivit pendant quelques mois ses cours et traduisit ses œuvres, c’est ce que nous essaierons de préciser.
Professeur à la Sorbonne, (Paris IV), hispaniste
Gérald Larrieu
« L’étatique mis à mâle par l’extatique. The Buenos Aires Affair de Manuel Puig »
Leo, le protagoniste apocopé de The Buenos Aires Affair n’est que l’une des faces janusiennes d’une seule et même entité éclatée en deux personnages, l’autre est Gladys à l’étymologie phallacieuse-ment prometteuse. L’énucléation de celle-ci métaphorise ce monde du manque, névrotique ; la gigantophallie du premier celui de l’en-trop, pervers. Dans ce Buenos Aires de la dictature, l’extase qu’éprouve ce personnage mâle à la suite d’une séance de torture ébranle l’imposition de la dure loi patrilinéaire et transcende l’anecdotique : ce roman, immédiatement interdit par le régime en place, ne transgresse-t-il pas, précisément, l’indicible du masculin ?
Gascon, agrégé d’espagnol, docteur de la Sorbonne, s’intéresse à la littérature argentine en général et au genre en particulier.
Darian Leader
« La seule chose qui dure : quelques fonctions de l’écriture »
Dans la psychanalyse, écrire est souvent considéré à l’opposé de l’extase. L’écriture serait en effet une limite ou une barrière à l’invasion de l’excitation ou à l’expérience d’une menace. Cependant, quelle jouissance spécifique peut-on trouver dans l’acte d’écrire et quelles différentes fonctions peut-il avoir ? À partir de vignettes cliniques, j’examinerai l’écriture à la fois comme un mode de représentation et une technique d’inscription. Nous verrons alors en quoi elle peut compter précisément en offrant une technique différente de la parole ou de l’image visuelle.
Psychanalyste à Londres. Auteur de A quoi penses-tu ?, Les promesses des amants, chez Odile Jacob, La question du genre et Faut-il voler la Joconde : ce que l’art nous empêche de voir chez Payot.
Jacques Le Brun
« Refus de l’extase et assomption de l’écriture dans la mystique moderne »
La mystique moderne, de Jean de la Croix à Mme Guyon, se méfie de l’extase, « phénomène » suspect de complaisance, d’exaltation du moi et d’ « enthousiasme ». Mais dans l’acte d’écrire un amour « pur » (en une écriture théorique et/ou poétique) se réalisent sortie de soi et désappropriation, non pas moyen pour « communiquer » une expérience, mais cette expérience même en tant qu’instauratrice.
Jacques Le Brun, directeur d’études honoraire à l’École pratique des Hautes Études, Section des sciences religieuses, a édité les Œuvres de Fénelon dans la Bibliothèque de la Pléiade (2 vol., éd. Gallimard, 1983-1997) et publié entre autres Le pur amour de Platon à Lacan (éd. du Seuil, 2002) et La jouissance et le trouble. Recherches sur la littérature chrétienne de l’âge classique (éd. Droz, 2004).
Éric Marty
« René Char : l’amour réalisé du désir demeuré désir »
La question de l’extase est centrale dans l’oeuvre poétique de René Char : elle n’est pas seulement associée à une présence obsédante d’Eros et de la femme, elle est la question même de la possibilité du poème.
Éric Marty, professeur de littérature contemporaine à l’Université de Paris 7, a publié un René Char dans la collection « les contemporains » au Seuil. Dernier livre paru : Roland Barthes, le métier d’écrire, Seuil, 2006.
Régis Michel
« Trip hop chez Tricky ou l’extase en studio. Corps noir et diable blond »
Steve McQueen filme Tricky (le bad boy de la wild music) dans un studio de Londres où il enregistre un de ses albums. Tricky fait corps – et même corps à corps – avec sa musique. Dans le glossaire éculé du vieil Occident, on parlerait sans doute de possession. Trip hop au pays de l’extase. Mais quelle extase ? McQueen se moque bien de ces postulats idéalistes qui ne sont qu’une ruse hégélienne (ruse coloniale) de la raison blanche – la raison du plus fort : celle du diable blond. Il n’y a plus ici que du rythme et du son, du spasme et de la pulsion, du désir et du sexe. Que du corps en un mot. Du corps mâle. Et du corps noir…
Conservateur en chef au musée du Louvre, auteur (entre autres) de Posséder et détruire, RMN, 2000 et La peinture comme crime, RMN, 2001.
Catherine Millot
« Discours et expérience »
Qu’est-ce que l’expérience mystique doit au discours dans lequel elle s’inscrit ? En quoi en est-elle cependant indépendante ? Comment le langage la traduit-elle ? La figure de l’oxymore forme peut-être le noeud de ses questions.
Psychanalyste à Paris, écrivain, auteur de La vocation de l’écrivain (1991), Gide, Genet, Mishima. Intelligence de la perversion (1996), Abîmes ordinaires (2001), La vie parfaite (2006), aux éditions Gallimard.
Geneviève Morel
« Inspiration, extase, sinthome »
La question de l’écriture traverse l’œuvre de Lacan comme un fil rouge, mais qui serait en zig-zag. Ses travaux de psychiatrie des années 30 ont pour objet des écrits « inspirés » de femmes folles. Dans les années 70, le rapport extatique à Dieu, décrit par les écrivains mystiques, devient une référence pour la jouissance féminine, dite avec Aristote « pas-toute », et à la limite de l’inconscient freudien. Enfin, l’art de Joyce bouleverse in fine sa théorie du symptôme et donne consistance au paradigme du « sinthome », une autre modalité pas-toute de la jouissance qui concerne cette fois les deux sexes. M’arrêtant aux points vifs de ce trajet, je m’interrogerai sur cette passion de l’écriture tendue entre la folie, les femmes et, évidemment, le langage.
Psychanalyste à Paris et à Lille, auteur de Ambiguïtés sexuelles. Sexuation et psychose, Anthropos, 2000, de Clinique du suicide, (dir.), Érès, 2002 et de Sinthome et ambiguïté sexuelle (à paraître chez Anthropos, 2007).
Gilbert Rouget
« Musiquer en état second. Rituels initiatiques africains »
Tout au long de leur très longue initiation au culte des vôdoun (Bénin), les novices sont plongé(e)s dans un état très particulier que Pierre Verger, célèbre ethnologue spécialiste de ces cultes, a décrit, le premier (1954), sous le nom d’ « hébétude ». Pour ma part, sans remettre en question sa description, je préfère, pour diverses raisons, parle d’« état de dépossession ». En cet état, les novices passent le meilleur de leur temps à chanter et à danser. C’est ce curieux aspect des choses, dont j’ai déjà parlé dans plusieurs publications, que je souhaiterais soumettre à la sagacité des participants à ce colloque. Question psycho-cognitive ?
Ancien directeur de recherches au CNRS, a dirigé le département d’ethnomusicologie du Musée de l’Homme (1965-1985), auteur de La musique et la transe, Tel, Gallimard, 1990.
Philippe Sabot
« Extase et transgression chez Georges Bataille »
Pour Bataille, l’expérience littéraire se trouve clairement associée à la dimension d’une transgression qui vise à mettre en contact de façon originale et provocatrice la sexualité et le sacré. Nous voudrions montrer que ce contact entre le plus « bas » et le plus « haut » définit ici les conditions d’une extase d’ordre quasi mystique dont les fictions « érotiques » (comme Histoire de l’œil, Madame Edwarda) et les textes « théoriques » (comme L’érotisme ou Théorie de la religion) contribuent à décrire les effets et à analyser les causes.
Maître de conférences en philosophie à Lille 3 (U.M.R. 8163 « Savoirs, textes, langage »). Rédacteur-en-chef de la revue Methodos. Auteur de Pratiques d’écritures, pratiques de pensée. Figures du sujet chez Breton/Éluard, Bataille et Leiris, Villeneuve d’Ascq, PUS, « Problématiques philosophiques », 2001.
Renate Schlesier
« L’extase dionysiaque dans l’histoire des religions »
Pour les historiens modernes de la religion en général et de la grecque en particulier, l’extase dionysiaque a servi de cas paradigmatique. Elle a permis de postuler la modernité d’un dieu grec, Dionysos, sa différence quasi-ontologique avec la culture antique, et d’autre part de créer un concept anthropologique et psychologique, le dionysiaque, en tant que donnée universelle. Or ces constructions modernes se réfèrent notamment à un texte littéraire, Les Bacchantes d’Euripide. Il s’agira donc d’analyser les quiproquos qui surgissent de certaines lectures « réalistes ».
Titulaire de la chaire de sciences religieuses à l’Université Libre de Berlin. Professeur invité à l’étranger à plusieurs reprises (États-Unis, France, Israël, Italie, Japon, Suisse). Publications et projets de recherche sur la littérature, la philosophie et la religion grecque ancienne, sur l’histoire de la psychanalyse et sur des questions de méthode en philologie, anthropologie et histoire des religions. Auteur de Konstruktionen der Weiblichkeit bei Sigmund Freud. Zum Problem von Entmythologisierung und Remythologisierung in der psychoanalytischen Theorie (Frankfurt am Main 1981) ; 2e édition : Mythos und Weiblichkeit bei Freud (Frankfurt am Main 1990). Kulte, Mythen und Gelehrte. Anthropologie der Antike seit 1800 (Frankfurt am Main 1994). Die Subversivität der Inspiration (Volume 51/1 de la revue Zeitschrift für Ästhetik und Allgemeine Kunstwissenschaft, 2006, édité avec Roberto Sanchiño Martínez).
Bernard Sesé
« Poétique de l’extase selon sainte Thérèse d’Avila et saint Jean de la Croix »
Depuis « l’envol » ou le « transpercement du cœur », l’extase s’exprime par divers états psychiques ou somatiques. Après en avoir esquissé la phénoménologie, et l’avoir située dans le cours de l’expérience spirituelle, on rassemblera les principales images (les cris, l’ivresse, la blessure, le feu…) qui la suggèrent dans les écrits des deux mystiques espagnols du XVIème siècle.
Professeur émérite à l’Université de Paris X-Nanterre, membre correspondant de la Real Academia Española. A traduit les Poésies complètes et Dits de lumière et d’amour de Jean de la Croix (José Corti), et publié, dans la collection « Petite vie… » ( Desclée de Brouwer) des biographies de grandes figures de l’histoire du christianisme : Saint Augustin, Catherine de Sienne, Thérèse d’Avila, Jean de la Croix, François de Sales, Élisabeth de la Trinité, Madame Acarie.
Annie Tardits
« Le récit, le poème, la lettre »
Avec deux versions d’un même épisode, Joyce rassemble les coordonnées qui encadrent et ordonnent un moment d’ « extase » : rapporté à l’irréductible étrangeté de la jouissance féminine, ce moment rend nécessaire l’écriture, mais ouvre sur un choix dans l’écriture même.
Psychanalyste à Paris (École de psychanalyse Sigmund Freud), a contribué au volume Joyce avec Lacan (éd. Navarin, 1987) et publié entre autres Les formations du psychanalyste (éd. Érès, 2000).
Sara Thornton
« Écriture et morsure : l’extase de la ponctuation dans Dracula de Bram Stoker »
Cette communication s’attardera sur un des signes-clef du roman de Bram Stoker (1897) : les marques des crocs de Dracula dans la chair de ses victimes. Percer la peau (puncture en anglais) est une manière de ponctuer la chair (punctuate the flesh). Les marques que laisse Dracula – minutieusement décrites comme deux petits trous ou « deux points » (montrés souvent dans les films) – sont un signe de l’extase que produit la rencontre avec le personnage de Dracula, marques de ponctuation qui ébranlent toute une hégémonie sociale et esthétique et refusent la clôture. Ces marques doubles doivent être à tout prix effacées par les chasseurs de vampire qui tentent de remplacer ce signe pluriel (signe de l’insubordination) par leur propre marque ou ’point final’ singulier. Nous étudierons les stratégies qui visent à contrôler l’extase que l’écriture du vampire introduit dans les pages du roman.
Maître de conférences à l’université de Paris VII, spécialiste de littérature et culture anglophones. Son livre ’Advertising, Subjectivity and the Nineteenth-Century Novel’ sera publié aux Etats-Unis et en Grande Bretagne en 2007 chez Palgrave Macmillan.
Léon Vandermeersch
« De l’idéogramme à l’écriture folle, la facette chinoise de l’extase lettrée »
Sur la pensée chinoise, l’emprise de l’idéographie a été infiniment plus forte que celle de la lettre sur la pensée occidentale, parce que l’idéogramme, sémantiquement bien plus prégnant que le mot transcrit alphabétiquement, rend évident le sens des choses. C’est ce qui porte à une conception mystique de la littérature, dont la fonction est d’ « avérer la raison de la multitude des raisons des choses », c’est-à-dire de dévoiler le Dao. Cependant, la désarticulation de Dao par le discours ne permet de le saisir qu’indirectement. Aussi les penseurs taoïstes, et après eux les bouddhistes zen, enseignent qu’il faut se départir du discours articulé pour saisir, au-delà du sens des choses, le sens du sens. C’est à quoi tend la forme la plus extrême de la calligraphie de style cursif (qui fusionne les caractères dans un même mouvement de pinceau), celle de la cursive folle. L’idéogramme y est si détourné, à force d’illisibilité délibérée, de sa fonction linguistique première, que, tout renvoi à ses référents signifiés ordinaires étant coupé, le flux idéographique se produit, détaché de ses significations discursives, comme image sublimée du sens du sens lui-même. Les créateurs de la cursive folle, Zhang Xu (? – 748 ?) et le moine Huaisu ( 725 ? – 785 ?) ne pratiquaient celle-ci qu’emportés dans une extase cultivée par l’alcool. À moindre degré, quelque chose de cette extase est associé à toute création littéraire idéographique. Il est notoire que pour les plus grands poètes chinois l’ivresse de la composition se confondait avec celle du vin.
Directeur d’ études à l’École Pratique des Hautes études. Professeur aux Lycées de Saigon (1951-54) et de Hanoi (1955-56), membre scientifique de l’Ecole Française d’Extrême-Orient en mission successivement à Hanoi (1956-58), à Kyôto (1958-60), à Hong-Kong (1962-63) et de nouveau à Kyôto (1964-65), maître de conférence à l’Université d’Aix-en-Provence (1966-73), maître de conférence puis professeur à l’Université de Paris VII (1973-79), directeur d’études de langue et civilisation chinoises à l’Ecole pratique des Hautes études (1979-93). Travaux sur l’histoire de la culture chinoise en Chine et dans les pays sinisés (Japon, Vietnam, Corée).
Florence Vatan
« Robert Musil ou les voies de la mystique diurne »
La question de l’extase, et celle de sa représentation, est au coeur du projet musilien. Musil explore les multiples formes d’extase – passion amoureuse, transes, mouvements de foule, rencontre avec le divin – selon une démarche conjugant le vécu personnel, les témoignages d’extatiques, le savoir psychiatrique et la psychologie expérimentale. Sa quête d’une « mystique diurne », dénuée d’occultisme, s’inscrit en rupture avec le culte de l’irrationnel qui se répand dans l’Allemagne et l’Autriche de l’entre-deux guerres. Loin de célébrer comme ses contemporains le naufrage de la raison, Musil relève le défi que l’expérience de l’extase adresse à la pensée et à l’écriture.
Maître de conférences à l’Université du Wisconsin-Milwaukee. Auteur de Robert Musil et la question anthropologique (PUF, 2000). Travaux sur les relations entre science et littérature.