organisé par Sadi Lakhdari et Nancy Berthier
Le cinéma latino-américain est, comme on sait, depuis dix ans
(et plus), en pleine effervescence. La critique aime à vanter, dans tous
les festivals, la résurrection des cinémas nationaux. Mais on ne peut
vraiment parler de nouvelle vague que dans les deux pays où il atteint
des sommets, le Mexique et l’Argentine : cinéma de crise, né dans
l’urgence et la pauvreté, qui continue de stupéfier le monde par sa
vitalité créatrice et son invention visuelle. Sa grande originalité, qui
le rend si aigu, est de ne jamais dissocier la crise et le symptôme : la
rue et le divan, la psychanalyse et la politique, la patience du concept
et la violence du monde. On n’en voudra pour preuve que deux
exemples prestigieux : Arturo Ripstein et sa mise en scène fascinante
des fantasmes qui captent, enferment et poussent finalement les
sujets à des actes tragiques ; Lucrecia Martel et sa description subtile
des fissures singulières par où l’inconscient dément une amnésie
trop collective.
C’est dans les années 20 que l’Amérique latine « importe »
d’Europe la psychanalyse, plus que partout ailleurs, mis à part peutêtre
les États Unis, pour d’autres raisons (la fuite des psychanalystes
juifs due à la persécution nazie). C’est par la lettre – la traduction –
que s’est effectuée cette diffusion incroyable grâce au philosophe
José Ortega y Gasset et à son disciple Luis López Ballesteros qui
traduisirent les Obras Completas de Freud dès 1922, alors qu’elles
étaient encore en cours – une traduction dont Freud fit un éloge
enflammé. La psychanalyse se répandit d’abord au Brésil où fut
fondée la première école de l’ IPA, puis en Argentine et, de là, dans
tout le continent. Sa diffusion fut marquée par les immigrés venus
d’Europe dans les années 40, notamment les kleiniens de Londres,
avant que s’y introduise de façon importante le courant lacanien.
À partir de 1955 et jusqu’à aujourd’hui, la psychanalyse s’est
largement imposée dans les classes moyennes avides d’apports
culturels extérieurs. Par exemple, en Argentine, on « entre en
analyse » souvent dès l’enfance, de façon quasi systématique, et
la psychanalyse domine largement les dispensaires et les hôpitaux
psychiatriques à l’heure où les néo-cognitivistes et les lobbys
pharmaceutiques tentent une offensive mondiale pour l’éliminer.
Une des questions que nous nous poserons lors de ce colloque
est de savoir comment le cinéma latino-américain a été influencé par
cet essor unique de la psychanalyse qui n’a existé nulle part ailleurs,
sauf peut-être en France, avec Lacan, dans les années 70. Comment
des films réalisés dans une société imprégnée par la psychanalyse
en portent-ils (ou pas) la marque ? On pense ici à des films récents,
réalisés en Argentine, au Brésil, en Uruguay ou au Chili, qui montrent
les traces de la dictature – notamment les deuils et la mélancolie
qui en ont été la conséquence –, là où on pourrait « oublier ».
Que nous enseigne donc ce cinéma qui a refusé de faire silence
sur les dictatures contre lesquelles il n’a cessé de lutter ? Que nous
apporte-t-il sur l’histoire contemporaine, notamment en Europe ?
Sur ce que Freud appelait, dans Le malaise dans la culture, le « surmoi
culturel », soit l’idéologie qui gouverne notre inconscient
à notre insu ?
Ainsi, comment peut-on y lire en miroir les tragédies nées en
Europe au 20ème siècle, celles dont l’Europe a mis tant de temps
à parler, ou qui sont encore censurées (l’Algerie, le pétainisme,
les démembrements des pays de l’Est, les diasporas) ? Comment
apprendre de son traitement novateur des problèmes issus de
l’immigration, du racisme, de la lutte des classes ? Ou de sa
description, fictionnelle mais touchant d’autant plus au réel, de
la complexité des rapports sociaux liés à l’existence des ghettos
de la misère au coeur des grandes villes ou, à l’inverse, des « zones
protégées » où s’enferment les riches ?
Le programme complet :
Le Bulletin d’inscription :
(les étudiants et enseignants de Paris IV ne paient pas de droits d’inscription)